Les bureaux de BlaBlaCar à Paris le 17 avril 2015

La France peut regretter de ne pas voir émerger davantage de champions tricolores pour s'imposer dans le paysage international, à l'instar de BlaBlaCar.

afp.com/Kenzo Tribouillard

Le coq rouge en papier se dresse fièrement sur ses ergots, regard tourné vers l'avenir. Mais l'emblème de la technologie française - la French Tech - risque bien de se faire croquer en tombant entre les pattes de prédateurs aux griffes acérées. Longue est la liste des start-up tricolores avalées par des groupes étrangers. Des plus grandes, comme le site de rencontre Meetic acheté par l'américain Match.com en 2011, jusqu'aux plus petites, aux technologies innovantes, comme Flexycore à Rennes ou Mesagraph à Paris, englouties respectivement par Google et Twitter.

Publicité

NOTRE DOSSIER >> La French Tech

"On observe aux Etats-Unis un enthousiasme grandissant pour les jeunes pousses françaises", estime Marc Carrel-Billiard, directeur monde chargé de la recherche et développement technologique chez Accenture. Jusqu'à John Chambers, le président du géant Cisco, qui ne rate pas une occasion de vanter l'écosystème français au point de promettre d'y investir quelque 200 millions de dollars.

Si la France peut se féliciter d'attirer des investisseurs étrangers, elle peut aussi regretter de ne pas voir émerger davantage de champions tricolores pour s'imposer dans le paysage international, à l'instar de BlaBlaCar ou de Criteo.

Pourtant, d'autres pays y ont réussi grâce à un marché intérieur très fort et au soutien du monde politique. En Russie, le moteur de recherche Yandex ou le réseau social VKontakte, restés indépendants, font toujours la nique à Google et à Facebook. Tous deux ont bénéficié du soutien d'oligarques comme Alicher Ousmanov, acteur dans la métallurgie et les télécommunications, ou Iouri Milner, dans la finance. De même en Chine, Baidu et Renren règnent sans partage grâce aux financements de fonds nationaux, comme China Equity et Legend Capital.

Et que dire du géant du commerce en ligne Alibaba, bien plus important qu'Amazon dans l'empire du Milieu? Les géants américains ont également du mal à dominer en Corée du Sud face à Naver, par exemple. "En comparaison, l'Europe, avec ses langues, ses cultures, ses lois différentes d'une nation à l'autre est un marché bien plus complexe pour faire émerger des leaders locaux", explique Marc Carrel-Billiard.

start-up françaises

Douze start-up innovantes passées sous pavillon étranger.

© / L'Expansion

Bpifrance au secours des jeunes pousses

Voir des groupes étrangers avaler des pépites françaises n'est pas choquant en soi. Sauf quand la "création de valeur" part avec. La cession du spécialiste français de la robotique Aldebaran au japonais Softbank a laissé des traces. L'avance technologique acquise par la société de Bruno Maisonnier, avec ses machines humanoïdes Nao ou Pepper, appartient aujourd'hui à un groupe nippon.

Pour éviter que se renouvelle cette fuite de richesse, la Banque publique d'investissement a multiplié ses participations depuis 2013. Avec son fonds de capital-risque de 500 millions d'euros, elle souhaite voir émerger des champions nationaux. En sécurisant une partie du capital afin d'épauler de jeunes pousses, elle espère être alertée plus tôt d'opérations de ce type et, peut-être, les empêcher. "Dans le cas d'Aldebaran, la société devait s'adosser à un groupe avec des moyens financiers importants pour lui donner le temps de se développer. Il s'agit de la vélocité et de la capacité à croître à l'international", estime Olivier Ezratty, consultant et auteur du Guide des startups high-tech en France.

Or c'est bien souvent là que le bât blesse. Sur les neuf premiers mois de l'année 2015, l'ensemble des fonds européens a levé 6,5 milliards d'euros quand, sur la même période, leurs homologues américains ont fait cinq fois mieux, avec 34,9 milliards d'euros, selon VentureSource.

Manque de financements, mais aussi manque d'appétit du CAC 40. La BPI regrette, dans un rapport paru fin 2015, que les grandes entreprises françaises ne prennent pas le relais des fonds en restant trop frileuses avec les start-up. Quand Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (les Gafam) en ont racheté 160 au cours des trois dernières années, l'ensemble des 120 plus grands groupes hexagonaux - le SBF 120 - en a acquis à peine 40! "Ils sont tétanisés par la moindre acquisition.

La génération des managers à la tête de ces sociétés ne connaît que la crise et ne sait pas gérer la croissance rapide", tacle Gaël Duval, fondateur de la French Touch Conference, événement réunissant les acteurs du secteur à New York et à Shanghai. Peur du risque, mais aussi mauvaise perception du prix à payer pour mettre la main sur des start-up affichant de faibles niveaux de chiffre d'affaires. "Les groupes français peuvent parfois mettre sur la table 50% de moins que ce que proposent des géants américains", regrette Jean-David Chamboredon, président du fonds d'investissement Isai.

L'arrivée d'Uber, de Booking.com ou d'Airbnb a toutefois créé un électrochoc. Ces plateformes captent une partie de la valeur hors des frontières, au détriment d'acteurs locaux bien loin du numérique, comme les chauffeurs de taxi ou l'hôtellerie. Aucun secteur ne se sent à l'abri, et nombre de géants de la vieille économie s'inquiètent de voir des "barbares" bousculer leurs positions établies. La question est de savoir si ces barbares seront tricolores ou s'ils viendront de l'étranger.

Publicité