Les adversaires de l’hypnose doutent de l'efficacité de cette pratique trop peu scientifique à leurs yeux.

Les adversaires de l’hypnose doutent de l'efficacité de cette pratique trop peu scientifique à leurs yeux.

L'Express

C'est l'histoire banale d'une fumeuse qui s'est "débarrassé de la clope" de manière peu banale: en consultant une hypnothérapeute. Depuis ce jour d'octobre 2011, Laetitia, jeune maman de 27 ans qui suit un Master de recherche en art à la Sorbonne, dit se sentir "libre". Pas une fois, elle n'a pas eu l'envie d'accompagner son café de la cigarette habituelle. Aujourd'hui encore, elle a le sourire aux lèvres  quand elle revient sur son parcours et sa manière, si particulière, d'en finir avec douze années de dépendance: "j'avais tout essayé pour arrêter: les patchs, et toutes sortes de substituts nicotiniques. Et là en une séance d'une heure, j'ai enfin trouvé la solution pour m'en sortir".

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Laetitia n'a pas eu d'appréhension à tenter l'hypnose, dans un cabinet privé du 13e arrondissement de Paris. "L'hypnothérapeute m'a tout de suite inspiré confiance, se souvient-elle. On a parlé de mes affinités avec la cigarette, des raisons pour lesquelles je voulais arrêter... Ensuite, je me suis allongée, elle m'a mise en état d'hypnose. Je devais fixer un point et me concentrer dessus tandis qu'elle me berçait avec sa voix douce. Elle m'a suggéré les sensations que pouvait me procurer la cigarette : le manque de souffle, les picotements dans la gorge, le goût... Puis, elle a décrit l'état dans lequel se trouvaient mes organes. Quand j'étais éc½urée, je lui faisais signe du doigt. Comme j'associais mon addiction à une forme d'esclavage, elle a utilisé cette idée et m'a transposée dans une forteresse où j'étais enfermée, obligée de me débattre, de trouver une clef pour m'évader. A la fin de la séance, elle m'a juste dit: 'vous êtes libre'". 

Une thérapie du changement

Caroline Théry Thomas, la psychothérapeute de Laetitia, est titulaire d'un diplôme en hypnothérapie obtenu à la faculté de médecine de La Pitié-Salpetrière (Paris VI). Selon elle, "l'hypnose déprogramme les addictions au niveau du cerveau". Alors que diverses suggestions sont délivrées pendant la séance, le patient s'en saisit et reprogramme en quelque sorte son cerveau avec des habitudes saines. Le corps met en moyenne une semaine pour se sevrer. La dépendance psychologique, elle, demande plus de temps.

Jean-Marc Benhaiem, praticien au centre de traitement de la douleur de l'hôpital Ambroise-Paré à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) et directeur de la formation universitaire à la Pitié, estime que "faire de l'hypnose c'est sortir d'une fascination". Pour lui, les échecs de cette thérapie sont dus au refus de certaines personnes de "changer". Virgile Lemarié, thérapeute à l'Académie de recherche et de connaissance en hypnose Ericksonienne (A.RC.H.E) partage ce point de vue: "un patient envoyé par sa famille parce qu'il fume trop,  ça ne peut pas marcher, car il n'engage pas sa propre volonté". Un exemple? Geneviève, 47 ans, un paquet par jour depuis 22 ans. Comme Laëtitia, elle a essayé cette méthode pour arrêter de fumer mais elle l'a fait sans grande conviction. Au bout de deux mois, elle a repris ses habitudes ...

Une pratique auréolée de mystère

Si l'hypnose gagne du terrain, elle effraye toujours autant. Assimilée à une manipulation mentale, à une pratique sectaire, voire à une escroquerie, elle continue d'être mal considérée. Surtout en France, où les psychanalystes sont attachés aux préceptes de Freud et restent sur leurs gardes face à tout ce qu'ils considèrent comme un "viol de l'inconscient". Freud a rapidement abandonné cette pratique après s'être rendu compte que sous hypnose le patient pouvait mentir et même créer de "faux souvenirs". Interrogé sur ce point, Virgile Lemarié admet que "la réalité peut se confondre avec le fantasme" et que cela "peut être dangereux".  Sans compter certains scandales qui hantent encore les esprits. Par exemple le cas de Daniel Coscuelluela, un psychiatre de Bergerac (Dordogne), condamné en 2009 à 12 ans de réclusion  pour avoir abusé, dans les années 1990, de certaines patientes en état d'hypnose.

Pourtant, Virgile Lemarié l'assure: "pendant la séance, la personne est volontaire et consciente, elle a un instinct de survie qui veille à ce qu'elle ne fasse que ce qui est bon pour elle". Admettant qu'il peut y avoir  "comme dans toutes les professions", des "gens mal intentionnés" ce spécialiste estime qu'il faut "s'assurer de la formation et de la déontologie de l'hypnothérapeute qu'on va consulter". Lui-même oeuvre pour l'Académie d'Hypnose Ericksonienne et affirme que la direction du travail inspecte régulièrement l'institut. D'après lui, le personnel est choisi avec précaution et signe une charte de déontologie.

Une efficacité controversée

Il n'empêche que les adversaires de l'hypnose doutent de l'efficacité de cette pratique trop peu scientifique à leurs yeux. "C'est très rare quand un médecin nous envoie un patient" reconnait Virgile Lemarié.  De fait, les addictologues n'administrent qu'exceptionnellement des séances d'hypnose. Le Docteur Xavier Laqueille, chef du service addictologie à l'hôpital St Anne (Paris XIIIème), affirme que ce traitement "n'a pas des résultats probants sur le plan médical". "Je ne peux pratiquer une thérapie que si elle est validée scientifiquement", précise-t-il. Le docteur Gilbert Lagrue, qui a ouvert la première consultation en tabacologie dans un hôpital (Créteil, 1977), qualifie pour sa part ces pratiques de "pseudosciences" et de "magie"[1].

Un rapport établi en 2003 par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et intitulé "stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses de l'aide à l'arrêt du tabac" ne considère pas l'hypnose comme un traitement efficace pour le sevrage tabagique. Selon ce document, les études sur cette technique sont "d'une qualité méthodologique assez faible". Les taux élevés d'abstinence rapportés dans certaines études auraient été biaisés par le recrutement de patients très motivés pour arrêter de fumer.

En 2007, une autre étude[2], menée cette fois par le Dr Faysal M. Hasan du North Shore Medical Center de Chicago, a évalué l'apport de l'hypnose dans l'aide au sevrage tabagique. Sur un échantillon de 67 patients fumeurs, quatre groupes ont été constitués: un sous hypnose pure, un autre combinant l'hypnose et le patch, un groupe placebo, et un dernier n'utilisant que les patchs de nicotine. Six mois après la fin du traitement, 50% des personnes traitées sous hypnose étaient abstinentes, même résultat pour le groupe patch et hypnose, 25% pour le groupe placebo et 16% pour le groupe patch. Pour autant, l'Afssaps n'a pas été convaincue par cette étude américaine et n'est pas revenue sur ses positions depuis 2003.

Selon ses détracteurs, cette technique ne permettrait pas des guérisons durables et un symptôme se substituerait à un autre. Par exemple, une personne arrêtant de fumer pourrait transférer son manque vers des aliments sucrés. Mais surtout, les addictologues estiment qu'il n'y a en réalité aucune différence entre les groupes sous hypnose et les groupes placebo. Pour Jean-Marc Benhaeim (hôpital Ambroise Paré de Boulogne), cet argument n'est pas valable: "l'effet placebo consiste par exemple à prendre un comprimé vide et guérir soudainement de sa migraine. L'hypnose fait appelle en plus à vos capacités intérieures pour aller mieux, elle amplifie l'effet placebo". L'étude américaine montre d'ailleurs des taux d'abstinence différents selon qu'il s'agit d'un groupe placebo ou d'un groupe sous hypnose.

Entrave à la progression de l'hypnose

Cette thérapie peine à s'imposer comme un traitement légitime. Pour  Jean- Marc Bernhaeim, cela s'explique en partie par l'absence d'études d'envergure: "les laboratoires ne nous soutiennent pas. Comme on n'a rien à vendre, personne ne veut financer nos études". Et Théry Thomas d'ajouter, plus offensive encore: "si les patients allaient voir des hypnothérapeutes,  les médicaments substituts nicotiniques n'auraient plus d'adeptes. Voilà pourquoi les lobbies pharmaceutiques ne veulent pas  que des études sur l'efficacité de l'hypnose soient publiées".

 En France, le marché du sevrage représente, à lui seul, près de 125 millions d'euros par an, selon le consultant Nielsen. Ces médicaments sont plus facilement acceptés que l'hypnose par le monde médical mais, dans certains cas, ils s'avèrent plus risqués qu'une séance d'hypnose... Des produits comme le Zyban (GlaxoSmithKline) ou le Champix (Pfizer), succès commerciaux,  ont été mis sur la liste des médicaments à surveillance renforcée.

Malgré tous ces obstacles, les hypnothérapeutes voient toujours dans l'hypnose un traitement d'avenir.  Jean-Marc Benhaeim pense qu'elle permet de "réhumaniser les patients", "de les traiter autrement et de les faire devenir acteurs de leur changement". Dans le traitement de la douleur, elle a su convaincre les médecins, et fait son entrée dans les blocs opératoires. Dans le traitement des addictions, elle continue de questionner la médecine... Pour combien de temps ?

[1]

                [1] « sevrage tabagique et pseudo-sciences » Gilbert Lagrue. SPS n° 258, juillet-août 2003.

[2]

                [2]  Etude publiée dans le journal American College of Chest Physicians, 22 octobre 2007.

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