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Comment Viadeo a fini par valoir 2.440 fois moins que LinkedIn

Mardi, le réseau social professionnel français a été placé en redressement judiciaire.

Par Nicolas Richaud

Publié le 30 nov. 2016 à 11:07

Fût un temps, Viadeo était régulièrement comparé, mesuré, confronté à LinkedIn et le réseau social professionnel français tentait de faire jeu égal avec l’Américain. L’année 2016 marque la fin du duel - qui n’en était plus un depuis quelques années déjà - et le décompte des points est cruel pour le premier.

Mardi soir, Viadeo a été placé en redressement judiciaire , quelques jours après sa cotation a été suspendue à la Bourse de Paris. Sa capitalisation boursière avant la suspension ? A peine 10 millions d’euros. De son côté, l’Américain a été racheté par Microsoft moyennant 26 milliards de dollars (soit 24,4 milliards d’euros). Traduction, LinkedIn « vaut » 2.440 fois plus que son concurrent français...

Créé en 2004 par Dan Serfaty et Thierry Lunati, sous le nom de Viaduc, le réseau social professionnel devient Viadeo en 2007, date à laquelle il entreprend déjà de s’internationaliser. Cette année-là, la société achète le chinois Tianji. En 2009, le Français acquiert également l’indien Apna Circle et le canadien Unyk. A l’époque, Viadeo revendique 25 millions de membres, contre 48 millions pour LinkedIn.

Une expansion coûteuse

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En 2010, le français est déjà présent au Canada, en Espagne, au Royaume-Uni, en Italie, en Chine, en Inde, au Mexique. Il ouvre un bureau aux Etats-Unis, où le PDG emblématique, Dan Serfaty, pose ses bagages. La société n’a pourtant aucune activité commerciale sur le marché américain : elle y installe une partie de sa R&D, là où les ingénieurs coûtent le plus cher au monde...

Ainsi, tandis que l’allemand Xing creuse, avec succès, son sillon sur son marché domestique et les pays germanophones, Viadeo part à l’assaut du monde, avec les marchés émergents en ligne de mire. Une stratégie qui lui permet d’éviter un choc frontal avec LinkedIn dans les pays anglo-saxons.

Mais cette expansion a un coût. « Ils ont brûlé énormément de cash à essayer de s’internationaliser, mais ils se sont attaqués à des marchés trop durs pour eux », estime Jérôme Colin, spécialiste des télécoms, des médias et d’Internet au cabinet de conseil Roland Berger. En 2012, Dan Serfaty fait ses valises pour la Chine , et Viadeo réalise sa plus grosse levée de fonds en récoltant 24 millions d’euros - dont 10 millions proviennent du Fonds stratégique d’investissement (public).

Un modèle qui bride la croissance du parc de membres

Il s’agit du quatrième tour de table depuis les débuts de la start-up tricolore qui aura levé, en tout, 37,7 millions d’euros. Joint-venture avec le russe Sanoma Indepedant Media, rachat de la société néerlandaise Soocial, du chinois Zaizher, du français Pealk : le Français ne diminue pas le tempo.

Surtout, Viadeo a déjà commis une erreur rédhibitoire en optant pour un modèle économique qui bride la croissance de son parc d’utilisateurs. Pour monétiser ses services, Viadeo vend des abonnements payants à ses membres.« Ils ont trop poussé les feux à ce niveau-là. L’intérêt de leur plate-forme, en gratuit, était trop limité, et cela a fini par lasser beaucoup d’utilisateurs », note Jérôme Colin.

Pour couronner le tout, cette offre est très dure à développer dans les pays émergents sur lesquels Viadeo a misé. De son côté, LinkedIn table sur les recrutements facturés aux entreprises et sur les services de ressources humaines pour rentabiliser ses services. Plus l’Américain a de CV à mettre à leur disposition sur sa plate-forme, plus son modèle est efficace. Un positionnement sur le segment professionnel qui s’avérera payant.

Un souci de monétisation

Après avoir évoqué le Nasdaq à maintes reprises pour son introduction en Bourse, Dan Serfaty opte finalement pour la place de Paris en 2014 . « Nous avons fait le choix d’une cotation à Paris, preuve que l’on peut construire en France des sociétés leaders mondiaux en moins de dix ans », s’enorgueillit-il alors.

La société vise une valorisation comprise entre 180 et 200 millions d’euros, soit près de 70 fois moins que LinkedIn , dont la capitalisation boursière atteint alors 14,3 milliards d’euros. Déjà. L’écart n’est pourtant que de 1 à 5, au niveau du nombre de membres, entre les deux concurrents puisque le Français en revendique alors 60 millions - dont 9 millions en France et 20 millions en Chine, son premier marché en volume -, contre 300 millions pour LinkedIn. 

Les raisons d’un tel différentiel de valorisation ? Viadeo génère 95% de son chiffre d’affaires sur le sol français, ce qui signifie qu’il ne parvient à monétiser que 9 millions de ses membres quand LinkedIn est parvenu à en valoriser 300 millions. Sur l’année 2013, Viadeo a dégagé 30 millions d’euros de revenus contre 1,5 milliard de dollars pour Linkedin.

Un recentrage bien trop tardif

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Après un pic à 148,5 millions d’euros en juillet 2014, la capitalisation boursière de Viadeo fond mois après mois et les mauvaises nouvelles s’accumulent. Sur l’exercice 2014, le groupe creuse ses pertes à 13,4 millions d’euros (après 13,1 millions d’euros l’année précédente). Un montant élevé étant donné son chiffre d’affaires qui recule encore, à 28 millions d’euros. En un an, l’effectif passe de près de 450 salariés à 299.

Le groupe tente bien de se redéployer dans le B to B, sur le modèle de LinkedIn. Mais cela ne permet pas d’endiguer l’hémorragie. Lors des trois premiers mois de l’année 2015, les revenus tirés des services vendus aux professionnels augmentent de 500.000 euros sur un an, quand ceux en provenance des abonnements premium chutent de 1 million… A elle seule, sa filiale chinoise accuse une perte opérationnelle de 5 millions d’euros (5,9 millions l’année précédente).

Longtemps présenté comme le symbole de sa réussite à l’international, Tianji (qui compte alors 25 millions de membres) s’est transformé en gouffre financier et Viadeo fait savoir qu’il souhaite en céder le contrôle, tout en gardant une participation minoritaire. Mais la quête d’un partenaire restera vaine. « S’il le faut, nous fermerons la Chine. Ce serait un crève-cœur », assurait Dan Serfaty au « Journal du Net », début décembre 2015 .

Le départ de Dan Serfaty

Trois semaines plus tard, Viadeo annonce officiellement qu’il tire le rideau de sa filiale . Tout se précipite. Moins d’un mois plus tard, Dan Serfaty démissionne de son poste de PDG et quitte le conseil d’administration. Plus qu’une page qui se tourne, c’est un livre entier qui se ferme chez Viadeo avec son départ.

A sa place, débarque Renier Lemmens, ancien responsable de PayPal Europe, qui n’a guère le temps de trouver ses marques et de laisser venir l’inspiration. De nouveau, Viadeo accuse une très lourde perte sur l’exercice 2015, à 23,3 millions d’euros, quasiment au niveau de son chiffre d’affaires (24,3 millions)… En Bourse, le titre poursuit sa chute libre et ne vaut plus que quelque 10 millions d’euros.

Offres de reprise partielle

En mai dernier, la nouvelle direction dévoile un nouveau plan stratégique, intitulé « Vianext » , et annonce qu’elle se recentre sur la France et part en quête de nouveaux financements. Mais il est bien trop tard pour redresser la barre de ce navire qui ne comptait plus que 157 salariés au dernier pointage, en juin.

Mi-novembre, le réseau social professionnel fait savoir qu’il est à court de financement, avant de demander la suspension de son cours . Reste maintenant à voir si ses actifs trouveront preneur. Plusieurs offres de reprise partielle seraient sur la table.

« La plate-forme technique est de qualité, ils ont de bons produits pour les professionnels, la base d’utilisateurs est importante [NDLR : 40 millions de membres] et la marque a quand même encore une certaine valeur, surtout en France », juge Jérôme Colin. En attendant, cet épisode marque la fin d’un des plus gros espoirs de la high-tech française du milieu des années 2000 avec Dailymotion et Deezer.

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