Ça y est ! Kibatic est une SCOP !

07 octobre 2016

Le statut de SCOP

Qu’est-ce que c’est qu’une SCOP ?

En deux mots, une SCOP est une société non-capitalistique et dont le pouvoir est détenu par les salariés.

Le statut de SCOP SARL ajoute des règles supplémentaires à notre statut de SARL.

Précisons un peu tout ça en donnant quelques caractéristiques du statut de SCOP

  • Les associés de la SCOP, quel que soit leur nombre de parts, ont une voix dans les assemblées générales
  • Les salariés doivent détenir plus de 50% des parts
  • Tous les salariés ont vocation à devenir associés
  • Un associé qui a investi 4000€ dans l’entreprise touche des dividendes sur son capital. En revanche, même si l’entreprise multiplie son résultat par 10, s’il veut retirer ses billes, il récupère 4000€ (c’est le coté non-capitalistique, les parts de l’entreprise ne se valorisent pas). Notons que c’est l’entreprise qui lui rembourse ses 4000€ et qui détruit les parts. Il n’a pas à trouver un acheteur.
  • Une SCOP n’est pas vendable

Quelles implications sur l’entreprise ?

Ce statut a des implications assez fortes sur le fonctionnement de l’entreprise :

  • La richesse produite par l’entreprise produit des dividendes pour les associés et de la participation pour les salariés
  • On ne crée plus la « dette virtuelle » correspondant à la valorisation de l’entreprise. Dans une société classique, la revente de la société fait que l’acheteur doit rembourser la valeur de rachat de l’entreprise en prélevant sur les bénéfices de l’entreprise. C’est cette valeur de rachat que j’appelle la « dette virtuelle ».
  • Le gérant rend des comptes aux salariés (et peut être démis de ses fonctions en cas de gros problème)

Pourquoi Kibatic a décidé de basculer en SCOP ?

Avant la bascule en SCOP, j’avais 80% du capital, j’avais donc tout  pouvoir dans l’entreprise.

Il faut bien comprendre qu’une bascule en SCOP, même si on a tous les pouvoirs, on ne peut pas la faire tout seul. Sans l’implication des salariés dans le processus, on ne peut pas basculer.

En revanche les motivations sont forcément très différentes entre le gérant, les anciens associés et les salariés. Concrètement, le gérant et les salariés ont été très impliqués. Les deux associés minoritaires ont été simplement informés des évolutions (sans que ça ne pose aucun problème).

Les motivations du gérant

Mes motivations pour cette bascule en SCOP sont à 3 niveaux :

  • L’efficacité de l’entreprise
  • Des motivations personnelles
  • Des motivations idéologiques

Efficacité de l’entreprise

En gros je pense que la bascule en SCOP nous permet :

  • de faciliter des recrutements
  • d’avoir un engagement et une implication des salariés plus forte (notamment à cause de la confiance qu’ils ont dans la direction de l’entreprise, sachant qu’ils deviennent de fait la direction de l’entreprise)
  • de limiter l’impôt sur les société (certains mécanismes des SCOP font que l’IS est très limité)
  • quelques arguments commerciaux : l’entreprise devient plus pérenne, le turnover est plus faible, les salariés sont plus impliqués, l’entreprise n’est pas vendable.

Motivations personnelles

En 2013 l’entreprise se portait très bien financièrement. En revanche, le niveau de stress de l’entreprise était très élevé et l’atmosphère était mauvaise. Mon niveau de stress personnel était également assez inquiétant. Entre 2013 et 2015, on a « libéré l’entreprise » (j’y reviendrai plus loin).

Cette démarche qui a abouti à la bascule en SCOP m’a permis :

  • De diminuer sensiblement mon niveau de stress personnel
  • De me sentir plus un élément dans un groupe plutôt qu’un élément contre un groupe
  • De diffuser le pouvoir, de mieux faire accepter l’erreur, à tous les niveaux de l’entreprise, y compris dans mes décisions
  • J’ai travaillé plus de 10 ans sur Kitpages / Kibatic. Je n’ai pas envie de voir ce projet s’arrêter. Je pense que la bascule en SCOP est un moyen de rendre l’entreprise plus pérenne.

Des motivations idéologiques

Globalement, je pense que notre civilisation est en bout de course et qu’un changement majeur dans l’organisation de la société est nécessaire. Du coup, mes motivations idéologiques sont principalement :

  • Il faut tester de nouveaux modes de fonctionnements. Je pense que revenir à l’humain et à la coopération est une expérience intéressante.
  • Le lien entre la propriété et le pouvoir provoque de nombreux abus et tend à augmenter les inégalités.
  • Je trouve normal que la valeur produite par l’entreprise soit répartie de façon transparente entre tous ceux qui contribuent à créer cette valeur. La SCOP élimine la notion de valorisation de l’entreprise et la dette virtuelle associée. Cette valorisation est pour moi une forme de rémunération très opaque.

Les motivations des salariés / associés

Les motivations que j’imaginais pour les salariés associés

  • Les associés prennent officiellement un pouvoir de décisions dans l’entreprise (et non plus juste au bon vouloir du gérant)
  • La bascule en SCOP permet d’éliminer la dette virtuelle de l’entreprise
  • Devenir associé permet de toucher des dividendes

Quelques témoignages de nouveaux associés

Jérémy : « Avoir la possibilité de s’approprier l’entreprise (dans tous les sens du terme) et ainsi ne pas subir les décisions d’une minorité en haut d’une pyramide. Ne pas être simplement consulté mais aussi avoir un vrai pouvoir décisionnel et savoir que mes collègues auront probablement la même optique et seront investis. »

Etienne : « c’est pour officialiser un fonctionnement qui est déjà participatif et que j’apprécie beaucoup. J’aurai pu continuer à être salarié comme avant si l’entreprise n’était pas passée en SCOP, mais je ne me voyait pas ne pas faire partie de l’aventure une fois le passage en SCOP initié. C’est un super projet dont je suis fier de faire partie. Cela permet de graver dans le marbre notre fonctionnement déjà participatif, même si je n’avait aucune inquiétude que ça change, et financièrement ça permet d’être intéressé aux bons résultats de l’entreprise, ça donne donc une vraie raison de bien faire son job. »

Elie : « Le passage en scop a permis d’officialiser le fonctionnement participatif que Kibatic a depuis longtemps mis en place. »

Astrid : « Après avoir accompagné une centaine de SCOP comme consultante, je voulais vivre la SCOP de l’intérieur. Le statut SCOP, quand il est bien utilisé, est un formidable outil de performance humaine et économique. KIBATIC avant son passage en SCOP, avait déjà un fonctionnement participatif (réel et efficace) et des vraies valeurs portées par l’ensemble de l’équipe. Son passage en SCOP était une évidence et c’est une formidable opportunité pour moi de faire partie de l’aventure ! »

Comment s’est déroulée la bascule en SCOP ?

Il faut revenir à 2013. L’entreprise était très rentable. Financièrement tous les indicateurs étaient au vert. En revanche, le niveau de stress de l’entreprise était très élevé et l’atmosphère générale était mauvaise.

Étape 1 : libération de l’entreprise 2013-2014

L’entreprise a toujours (depuis 2006) été très transparente (les comptes et les salaires ont toujours été publics par exemple). En 2014, nous avons commencé à travailler collectivement sur les valeurs de l’entreprise. La première valeur qui est ressortie est « Liberté et responsabilité ». Schématiquement, un salarié peut faire ce qu’il veut tant que ça va dans l’intérêt de l’entreprise.

Nous avons ensuite beaucoup tâtonné pour trouver des modes d’organisation permettant d’impliquer les membres de l’entreprise dans les décisions transverses (salaires, prospection, RH, …).

Étape 2 : structuration de l’entreprise (2015)

La libération de l’entreprise n’a pas réellement résolu les problèmes de stress dans l’équipe. C’est le fait de structurer l’entreprise qui nous a permis d’apaiser l’entreprise. J’entends par structuration les étapes suivantes :

  • Un audit de l’entreprise par le CJD de Grenoble. Ma commission CJD a mis en lumière de nombreux dysfonctionnements de l’entreprise et notamment une absence de stratégie.
  • Un accompagnement de la CCI (programme plan PME) à la mise en place d’une stratégie dans l’entreprise (avec les salariés)
  • La mise en place de process internes clairs et écrits
  • La clarification des rôles de chacun
  • L’embauche d’une responsable administrative et financière
  • La mise en place d’un processus de vente impliquant toute l’équipe (en cours)

Étape 3 : Sensibilisation au statut de SCOP SARL (2015-2016)

Nous avons imaginé basculer en SCOP en 2015, mais sans en connaître réellement les implications. Nous avons  travaillé à comprendre ces implications, avec l’UR Scop, avec des discussions avec d’autres SCOPs, ainsi qu’avec des présentations de Hugues et moi au reste de l’équipe.

Cette phase est longue, complexe et très importante. Elle permet aux nouveaux associés de s’engager dans l’aventure en connaissance de cause et aux anciens associés de comprendre les implications de la démarche.

Étape 4 : Bascule en SCOP (2016)

La bascule en SCOP elle même s’appuie sur des mécanismes complexes :

  • On valorise l’entreprise, exactement comme pour un rachat d’entreprise. Dans le cas de Kibatic, on est parti sur une valorisation basse pour ne pas pénaliser la solidité de l’entreprise.
  • L’entreprise se rachète elle même en puisant dans les ressources suivantes :
    • Les réserves de l’entreprise
    • Le capital apporté par les nouveaux associés
    • Le capital laissé par les anciens associés (j’ai laissé une grande partie de mon capital dans la structure pour ne pas fragiliser l’entreprise en cas de perte en 2016 ou 2017)
    • Un emprunt bancaire pour ne pas avoir de trou de trésorerie à cause de la bascule

Je vous épargne le montage financier kafkaïen impliqué par ces opérations.

Autant l’accompagnement en amont de l’UR Scop s’était assez bien passé pour expliquer à l’ensemble de l’équipe ce que c’était qu’une SCOP et le processus de transformation ; autant l’accompagnement à la transformation elle même (qui est une prestation payante et chère, compter environ 10k€), ne nous a pas complètement enthousiasmé.

Étape 5 : Bilan de la transformation

Le résultat est là : Kibatic est une SCOP !

On a dignement fêté la bascule avec un gros mal de crâne le lendemain.

Les salariés et associés ont bien adhéré au processus et on sent à la fois de l’enthousiasme sur le projet Kibatic et de l’inquiétude vis à vis du futur, ce qui est finalement une préoccupation assez saine si on est associé à l’entreprise.

En conclusion

Une entreprise reste une entreprise avec ses joies, ses succès, ses difficultés, ses tensions. Mais en tout cas à titre personnel, je suis ravi de partager ces émotions avec l’ensemble de l’équipe et j’ai l’impression que la solidarité qu’on a bâtie est un des points forts de l’entreprise.

 

Auteur : Philippe Le Van, Gérant de Kibatic (twitter : @plv)